Interview recueillie le 8 mai 2025
Dans cette nouvelle interview sur DCDL, Kevin Bitterlin, l’un des membres fondateurs et le rédacteur en chef du magazine JV – Culture Jeu Vidéo, nous parle de son parcours, des difficultés que traverse actuellement la publication et de l’état du journalisme vidéoludique français.
Si vous souhaitez soutenir financièrement et moralement le magazine, que vous soyez déjà un lecteur conquis ou que vous souhaitiez découvrir le travail de Kevin Bitterlin, de Sophie Krupa, de Christophe Butelet et de leurs collègues rédacteurs, vous pouvez participer sur Ulule à la campagne de réédition de leur ouvrage Génération Jeu Vidéo – Années 80 (ils publient aussi des livres). Cela les aidera à renflouer leurs caisses et vous aurez entre les mains à l’issue du processus un volume de toute beauté, bien écrit, patiemment documenté et illustré avec soin !

Bonjour Kevin, merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Tu es le rédacteur en chef de JV Le Mag, magazine mensuel consacré au jeu vidéo et à sa culture dont le numéro 1 est sorti en novembre 2013 et le dernier numéro en date, le 114, est arrivé dans ma boîte aux lettres il y a quelques semaines, daté de mars 2025. Tes camarades et toi venez d’annoncer que le modèle n’était plus viable et qu’un éventuel numéro 115 ne paraîtrait pas avant au moins plusieurs mois. J’aimerais discuter avec toi, si tu le veux bien, de cette situation. Mais avant cela, voyageons un peu dans le passé. Pas seulement celui de JV, mais le tien. Pourrais-tu nous parler de ton parcours ? Qu’as-tu fait après tes années lycée ? Quelle a été ta formation ? T’es-tu immédiatement lancé dans le journalisme vidéoludique ?
Bonjour ! Après le lycée, j’ai obtenu une double licence en culture et communication à l’Université de Nancy. En parallèle, j’ai commencé à travailler en tant que correspondant local à la rubrique des sports du quotidien régional du coin. À l’été 2007, en attendant la rentrée universitaire, j’ai voulu faire un stage et j’ai été pris pour six mois sur le site aujourd’hui disparu www.jeuxvideopc.fr. Je n’avais pas vraiment prévu de me spécialiser dans le journalisme jeu vidéo, mais c’était un stage qui proposait des tickets resto ! Comment refuser ? Et le métier m’a plu, ainsi que l’équipe rédactionnelle. J’y ai rencontré pas mal de mes collègues / confrères actuels, comme Christophe Butelet, Jean-Kléber Lauret, Gaël Weiss ou Sylvain Tastet. À l’issue du stage, j’ai été embauché en CDI. Par la suite, en 2009, j’ai décidé de partir et de devenir pigiste. J’ai alors commencé à écrire pour différents magazines papier (Joystick, Jeux Video Magazine, Consoles +, etc) ainsi que sur le site www.JVN.com. Jusqu’en 2013 où, avec d’autres personnes aussi inconscientes que moi, on a réuni nos économies pour lancer notre propre publication, JV – Culture Jeu Vidéo.
Quels sont les jeux et les machines qui t’ont le plus marqué lorsque tu étais enfant et qui t’ont donné envie de consacrer ta vie à suivre et à commenter l’évolution du média ? Quels sont tes plus gros coups de cœur vidéoludiques de ces, disons, trois dernières années ? As-tu toujours le feu sacré ou éprouves-tu parfois une certaine lassitude ?
Comme je le disais plus haut, je n’avais pas du tout prévu, enfant, de me destiner au journalisme vidéoludique. J’ai toujours aimé écrire, mais c’est plus via le sport que j’en suis venu à la presse écrite. Si je devais citer les jeux les plus importants de ma vie, je commencerais par The Legend of Zelda: A Link to the Past sur Super Nintendo. Un jeu que j’aime refaire régulièrement depuis bien trente ans, moitié par pure nostalgie, moitié parce qu’en matière de game design, ce jeu reste un petit bijou proche d’une forme de perfection absolue. J’ai ensuite été marqué par tous ces premiers jeux qui n’étaient précisément « pas que du jeu ». Les Resident Evil, Silent Hill, Metal Gear Solid, les Final Fantasy sortis sur la première PlayStation. En gros, des titres avec de la mise en scène, de la narration, des personnages forts. C’est encore ce que je vais chercher en priorité dans un jeu aujourd’hui, comme dans Clair Obscur: Expedition 33, mon énorme coup de cœur du moment. Un jeu que j’ai déjà fini mais auquel je continue de penser constamment et dont certaines scènes me hantent jour et nuit ! Sinon, ces dernières années, je dois avouer que je suis friand des propositions de FromSoftware et que je relance encore régulièrement Elden Ring, même si je l’ai fini déjà trois ou quatre fois. Concernant le « feu sacré », je dois avouer que je suis quelqu’un qui fonctionne en « phases ». Il y a des périodes où j’ai envie de me noyer dans un jeu et d’y jouer 24 heures sur 24, d’autres où en dehors d’une ou deux parties de Hearthstone quotidiennes, ma PS5 ne sert qu’à regarder des films, des séries ou des événements sportifs. En revanche, aucune lassitude ou perte de feu sacré vis-à-vis du média jeu vidéo en général. J’aime toujours m’intéresser à son actualité, à ses petites et grandes histoires, aux artistes qui les réalisent…
J’aimerais comprendre comment tu fais pour t’organiser au quotidien. Pour réussir à jouer aux nouvelles sorties tout en rédigeant des tests et des articles de fond, sans parler des podcasts, des vidéos et de la gestion administrative du magazine, tu ne dois jamais te poser, non ? Parviens-tu à trouver du temps pour jouer pour le plaisir, bouquiner, mater des films et des séries ou, soyons fous, prendre l’air ?
Autant je peux jouer de manière déraisonnable à un jeu en particulier, autant je ne suis pas du genre à vouloir tout essayer, ne serait-ce que quelques minutes, juste pour voir. Je ne papillonne pas de jeux en jeux. Idem en matière de livres ou de séries (je n’aime d’ailleurs pas regarder plusieurs séries en parallèle), j’aime suivre mes œuvres en m’y consacrant à 100% le temps que ça dure. Niveau boulot, même si mes collègues se moquent toujours du bordel qu’est mon bureau, je fonctionne un peu de la même manière, en essayant de prendre les choses les unes après les autres, de ne pas m’éparpiller à courir plusieurs lièvres à la fois. J’écris assez vite en général, mais cette « rapidité » a un prix : quand je me pose devant mon clavier, l’article que je m’apprête à taper, je l’ai déjà formulé dans ma tête. Sur l’oreiller pendant une insomnie, sous la douche, pendant le trajet jusqu’à la rédaction… Difficile de « se poser » dans ces conditions puisque je suis à peu près toujours en « veille active », y compris pendant les week-ends ou les congés. C’est un peu ce qui est usant avec le journalisme. Il te suffit de lire un tweet pour que ça te donne une idée d’article et que tu ne puisses t’empêcher d’y réfléchir, d’en échafauder les bases, quand bien même tu n’es pas « au travail ». Malgré tout, oui, je trouve toujours le temps, surtout le soir, disons plutôt la nuit, pour déconnecter, mater un film, une série, ou, c’est surtout le cas ces temps-ci, les matchs de basket NBA. Mais j’ai beau adorer regarder du sport, je n’en pratique pas. « Prendre l’air », ça se résume surtout aux promenades avec mon chien.

Passons maintenant à la partie moins agréable. La presse jeu vidéo et plus généralement les médias jeu vidéo tombent les uns après les autres depuis des années, se relevant parfois mais pas toujours sous une forme idéale (cf la décimation de la rédaction de Gamekult). Beaucoup de journalistes, en outre, jettent l’éponge, se reconvertissent ou sombrent parfois, malheureusement, dans le burnout et la dépression. Je m’interroge quant aux causes d’un tel marasme. J’ai bien quelques idées. Je vais t’en proposer quelques-unes et te laisser y réagir :
– Les gens ne lisent plus beaucoup, d’autant moins sur papier, et la situation ne fait que s’aggraver année après année.
– Le nombre de lecteurs baisse ou diminue et il n’y a pas grand-chose de plus à faire que tout ce que vous faites déjà pour tenter de les retenir ou d’en attirer de nouveaux.
– Le coût du papier et les frais de distribution augmentent toujours plus. Or le nombre de lecteurs, lui, stagne et il n’est pas envisageable de vendre le mag plus cher qu’il ne l’est déjà.
– Le contenu très qualitatif, intellectuel et pointu du magazine condamne, si je puis dire, la publication à ne s’adresser qu’à un lectorat très particulier (les 30 – 50 ans passionnés de jeu vidéo et le percevant comme une forme d’expression artistique plutôt que comme un simple divertissement), mais vous ne souhaitez pas placer la barrière à l’entrée plus bas.
– D’aucuns ont parfois critiqué votre positionnement politique clairement affiché à gauche. Penses-tu que cela ait pu rebuter une frange non négligeable du lectorat (acquis ou potentiel) de JV ?
C’est certain que la presse papier en général est en voie de disparition. C’est malheureusement le sens de l’histoire. Concernant la presse jeu vidéo en France, le contexte est encore plus difficile qu’ailleurs. Plusieurs raisons à cela à mon sens :
– La surpuissance de jeuxvideo.com depuis 25 ans qui a vampirisé le secteur et rendu obsolète une bonne partie du reste des propositions journalistiques.
– Le sentiment de trahison ressenti par les lectrices et lecteurs qui ont vu péricliter les publications historiques les unes après les autres, contrairement à d’autres pays où certaines revues demeurent de véritables institutions.
– L’absence d’aides financières de l’état pour tout magazine culturel, là où des revues qui se revendiquent d’actualité (y compris la presse people par exemple) peuvent être soutenues économiquement.
– Le modèle économique général de la presse qui dépend, d’une part, d’un organisme de diffusion nationale pour le moins opaque, mais aussi de tout un système qui laisse peu de place aux petits acteurs indépendants.
Cela étant dit, je pense que le salut, ou tout du moins la viabilité, d’un média comme JV, passe par son positionnement de niche. Chercher à tout prix le mainstream nous ferait non seulement perdre notre âme, mais aussi les derniers irréductibles qui nous suivent encore. Donc, oui, nous assumons parfaitement notre positionnement, que ce soit la dimension culturelle du magazine, ou bien les valeurs sociétales et éthiques qu’il défend. On ne pourrait pas, à titre individuel à la rédaction, se renier sur ces points-là. Tant pis si ça a pu faire fuir quelques lectrices ou lecteurs au fil des ans. En fait, depuis le premier jour, JV est le magazine que celles et ceux qui le font voudraient acheter et lire. Il nous représente donc forcément. La cible, c’est moi, c’est Sophie, c’est Christophe. Soit des quarantenaires ou trentenaires bien tassés, alignés plutôt à gauche en effet ou partageant des valeurs progressistes, des gens qui veulent découvrir des choses, en apprendre d’autres, se divertir ou s’indigner en lisant un article, que ce soit dans le train, dans le lit ou sur les toilettes. Je dirais enfin qu’acheter ou s’abonner à un magazine comme JV , a fortiori par les temps qui courent, cela constitue un engagement. En tant que rédacteur en chef, je dois avoir conscience de cela et rien ne me ferait plus de peine qu’une lectrice ou un lecteur ressorte du magazine sans n’avoir rien ressenti, que JV ne lui ait procuré aucune émotion. De la joie, de l’enthousiasme, de la colère, des sourires ou des indignations, peu importe à vrai dire. Je préfère même énerver quelqu’un plutôt que de le laisser indifférent. J’ai envie qu’on achète le magazine pour ce qu’il y a à lire dedans, pas parce qu’on propose des posters ou des codes promos. Et tant pis si ça nous ferme des portes ou réduit encore la taille de notre niche.
Abordons le sujet des podcasts et des vidéos. Il y a deux points que j’aimerais évoquer. D’abord, ces contenus accessibles gratuitement (ZQSD notamment, que j’adore, ou JV le Pod qui vous sert à présenter le numéro en cours chaque mois) et qui vous demandent du temps à toi et tes collègues sont certes très agréables pour nous lecteurs, mais ils ne sont pas rémunérateurs. Cela vaut-il le coup sachant que beaucoup de passionnés pourraient s’en contenter (je pense en particulier à tes confrères de Canard PC qui dévoilent dans leurs émissions tout le contenu du magazine) ? Par ailleurs, ces contenus audiovisuels en ligne proposés par les rédactions des magazines papier se retrouvent en concurrence direct avec pléthore de médias exclusivement disponibles sur Internet. Je pense en particulier à des chaînes YouTube comme celle d’At0mium ou d’un vidéaste comme Bibi300. Les retombées sont-elles vraiment là en termes de gain de lecteurs ou de soutiens financiers ?
Avant tout, je précise une chose. ZQSD est une entité totalement différente de JV d’un point de vue structurel et économique, bien que les deux soient étroitement liées via les gens qui y participent. ZQSD n’a par exemple quasiment aucun frais à payer, donc il se porte bien, suffisamment en tout cas pour abreuver les participants en chips et en boissons. Concernant JV, soyons clairs, tout ce que nous produisons d’un point de vue disons audiovisuel (le podcast et les streams), ça ne rapporte aucun euro, tout du moins pas directement. On fait ça parce que ça nous fait plaisir et que ça permet à des gens de passer plus de temps en notre compagnie. Et si ça peut en pousser certaines et certains à acheter l’un des produits qu’on propose sur notre boutique au sortir d’une écoute, tant mieux. Nous n’avons en tout cas pas la prétention de vouloir concurrencer celles et ceux qui font des podcasts ou du Twitch de manière professionnelle. Notre cœur de métier, c’est l’édition et la presse écrite. Tout le reste, c’est de la récréation et du community management à la petite semaine. Donc oui, pour répondre à la question, JV le Pod et nos streams existent avant tout pour tisser des liens plus forts avec les lectrices et les lecteurs.
Je suis abonné à JV, à Canard PC et à un petit magazine anglais dont nous reparlerons plus loin. J’écoute également de nombreux podcasts (ceux déjà cités, ceux de Patrick Beja, Fin du Game, Silence on joue !, les différentes émissions du collectif Origami…), surtout lors de mes trajets quotidiens en voiture. Est-ce que vous ne vous marcheriez pas un peu sur les pieds les uns des autres ? Vous parlez tous plus ou moins des mêmes jeux, avez peu ou prou les mêmes idées et semblez pour la plupart être potes. Ne serait-il pas possible de vous unir pour créer une sorte de nouveau Gamekult entièrement financé par ses lecteurs / auditeurs / spectateurs ? Le financement participatif sur lequel beaucoup se reposent me semble peu pérenne dans la mesure où les passionnés de jeu vidéo qui sont vos clients ne peuvent pas donner à tout le monde. Déjà abonné à trois magazines, j’avoue me limiter à ces trois dépenses-là (j’achète par ailleurs beaucoup de jeux).
Je dois dire quelque chose. À titre personnel, en matière journalistique, j’ai toujours été plus attaché à des plumes qu’à des publications. Pour le dire autrement, j’estime que les valeurs défendues et la personnalité d’un journaliste sont des choses primordiales. Si je lis la critique d’un film, j’aime savoir par qui elle a été écrite, bien plus que de connaître la publication où elle est sortie. Dans JV, j’aime à me dire que les lectrices et les lecteurs reconnaissent le style ou les goûts du journaliste, qu’elles et lui puissent se confronter à cet avis en toute connaissance de cause. Tout ça pour dire qu’à mon sens, on écoute des gens comme Gautoz, ExServ, Patrick Hellio ou Ellen Replay, moins pour les sujets qu’ils traitent que pour la manière avec laquelle ils le font. Peu importe si l’on parle toutes et tous plus ou moins des mêmes jeux, des mêmes problématiques. Ce qu’un « client » vient chercher aujourd’hui dans la presse jeu vidéo, ce n’est à mon avis pas l’info en tant que telle, l’équivalent de la dépêche AFP. Non, il vient pour l’avis d’un journaliste en particulier, son éloquence, son style, sa manière d’éditorialiser les choses. C’est ça qui va donner envie de soutenir, moralement et financièrement, un média plus qu’un autre. Donc non, je ne pense pas que l’on soit trop nombreux sur un seul et même créneau, ni qu’on soit fondamentalement en concurrence. Libre à chacun de rejoindre celles et ceux avec qui il se sent le plus en phase et de leur consacrer ou non du temps et de l’argent.

Juste un mot sur l’IA. Elle menace de voler le travail de nombreux artistes travaillant dans le secteur du jeu vidéo. Es-tu partisan d’un boycott systématique des studios ayant recours à l’IA pour créer des jeux au détriment de l’humain ? Penses-tu que cela menace également le métier de journaliste, des articles pouvant être générés à la chaîne de manière automatique par des gens peu scrupuleux se prenant pour des journalistes alors qu’ils n’écrivent pas eux-mêmes leurs articles ?
Depuis que j’ai commencé en 2007, j’ai vu naître pas mal de tendances « menaçantes pour le métier de journaliste ». Les astuces dégueulasses pour le référencement Google, les titres « clickbait« , les critères pour figurer sur la home Discover… Aujourd’hui, il y a l’IA. Sans mésestimer son danger, disons que je crois, peut-être naïvement, que la presse n’ayant recours à aucun de ces subterfuges parviendra à subsister, précisément parce qu’elle est différente et clairement artisanale, qu’elle sort du magma informe et désincarné qu’on nous impose un peu partout. Boycott ou non, la réalité, c’est que l’IA est déjà là et qu’elle va être de plus en plus présente, partout, tout le temps. C’est aussi quelque chose de générationnel. Dans le journalisme (je mets de côté les métiers artistiques où, là, c’est un véritable drame qu’il s’agit de dénoncer), j’ai conscience qu’on peut tout à fait envisager un ChatGPT comme un outil d’assistance, par exemple pour vérifier une info, une orthographe, une date… Je ne le fais pas à titre personnel, probablement parce que je n’ai pas le réflexe. Mais des journalistes plus âgés que moi ont sans doute été réfractaires à la recherche Google ou Wikipédia, au début des années 2000, privilégiant l’ouverture d’un dico, d’une encyclopédie ou d’un ouvrage de référence quelconque. Peu importe la méthode, du moment qu’il y a de la rigueur journalistique et de la (multi-)vérification des sources.
En conclusion, parlons du futur de JV Le Mag. Votre activité principale, à savoir sortir tous les mois un numéro du magazine, est en suspens pour une durée indéterminée. Comment vois-tu l’avenir ? Quelles sont les solutions envisagées pour rebondir ? Les livres et hors-séries sur lesquels vous allez continuer à travailler sont-ils une source de revenue importante, voire vitale ? Je lis depuis quelques mois le magazine anglais Patch consacré au jeu indé. Trente pages mensuelles ultra qualitatives, denses, joliment illustrées et sans publicités (ça, je ne sais pas comment ils font). Un format de ce type ne serait-il pas envisageable, quitte à ne plus s’embêter à rédiger des dossiers de fond longs à écrire (et à lire) ? Un magazine compact et court, avec le même état d’esprit que l’actuel, saurait peut-être séduire un nouveau lectorat. Et si jamais, dans six mois, tu étais obligé d’annoncer que JV, c’est fini, que deviendraient les membres historiques de la rédaction (Sophie, Christophe et toi en particulier). Avez-vous tous déjà réfléchi à des possibilités de reconversion à la Ianoo (travailler dans l’industrie) ou à la Corentin Lamy (bosser pour de grands médias) ? Bien sûr, je vous souhaite que l’aventure continue pendant au moins dix nouvelles années !
Effectivement, après pratiquement douze ans de parutions régulières, nous avons pris la décision en avril dernier de mettre JV – Culture Jeu Vidéo en pause. Ça n’a pas été facile mais il a bien fallu se rendre à l’évidence : le magazine n’était plus rentable en l’état. Trop cher à produire, trop peu rétribuant en matière de ventes. Plus que le magazine en lui-même, c’est son modèle économique qui nous est apparu défaillant. Il faut comprendre que ce qui coûte le plus cher à une entreprise comme la nôtre, ce n’est pas la masse salariale. Ce n’est pas non plus l’impression des magazines. Non, c’est la destruction des exemplaires invendus. Sauf que pour espérer vendre 10 000 exemplaires, il faut en fabriquer entre cinq et dix fois plus. Tout ce qui n’est pas écoulé est ensuite détruit, ce qui a un coût colossal. Donc, notre priorité désormais, c’est de réduire au maximum nos pertes, quitte à produire beaucoup moins d’exemplaires, de s’assurer que ce qu’on fabrique va bien finir sa vie dans les mains d’un lecteur ou d’une lectrice, plutôt que dans un incinérateur. C’est pourquoi, dorénavant, tout ce que JV publiera fera l’objet au préalable d’une campagne de financement sur Ulule. On pourra donc savoir combien d’exemplaires il nous faut faire imprimer. C’est un modèle qu’on a déjà appliqué avec nos livres ou nos hors-séries, mais que l’on entend désormais généraliser à toutes nos publications. Suivant ce modèle, on espère pouvoir relancer JV à la rentrée 2025, sous une autre forme et avec une autre périodicité. Le mensuel, c’est fini, ça c’est certain. Ça ne veut pas dire pour autant que l’on abandonne le navire. Mais avant de repartir sur les flots, il faut qu’on colmate les brèches et qu’on répare ce qui est cassé. Pour l’heure, on est encore en phase de réflexion, on cherche la meilleure formule. Patch est un exemple intéressant, même si on ne s’oriente pas vers ce modèle-là. Et si jamais JV devait couler pour de bon, il nous resterait la partie édition. Il n’y pas que les magazines, il y a aussi les livres, différents formats et modèles à explorer. On ne se débarrassera pas de nous aussi facilement !
Merci à toi, Kevin, pour tes réponses et pour le temps que tu as consacré à cet entretien. Puisse JV continuer de nous enrichir, de nous divertir et d’œuvrer à la reconnaissance du jeu vidéo en tant que forme d’art à part entière pendant encore longtemps !
Florian Baude (Des Clics & des Lettres)